Le Brésil est l’exemple même d’un pays qui, connaissant un fort développement économique, est devenu un marché attrayant sur lequel obtenir un brevet pour les industriels devenait important en vue de se réserver des parts de marché par un droit monopolistique.
L’article 40 de la loi brésilienne sur la propriété industrielle n°9.279/1996 stipule pour un brevet une durée de protection de 20 ans à compter de la date de dépôt.
Le problème est que l’Office brésilien des brevets (Instituto Nacional da Propriedade Industrial – INPI) a vite été submergé de demandes de brevet qu’il fallait examiner. Il en est résulté un immense retard dans les procédures d’examen des demandes de brevet.
De ce fait, le même article 40 stipule également qu’un brevet a une durée de protection d’au minimum 10 ans à compter de sa délivrance (après examen). Ce régime devait en principe rester une exception.
Hélas, les retards croissants des examens par l’INPI brésilien ont fait que près de la moitié des brevets en vigueur à ce jour au Brésil ont été déposés il y a plus de 20 ans: on compte près de 160.000 demandes de brevets en cours d’examen.
Le 18 mai 2016, le Procureur Général de la République a saisi la Cour Suprême pour faire analyser si la durée d’un minimum de 10 ans à compter de la délivrance n’était pas contraire à la Constitution brésilienne.
Entretemps, pour juguler son retard, le Brésil a pris des mesures (résolution INPI/PR Nº 241/19 du 3 juillet 2019) visant à accélérer les procédures d’examen, comprenant notamment :
Les Examinateurs ont également été priés de prendre en compte le fait que des brevets correspondants aient été accordés (aux Etats-Unis et en Europe notamment).
Les praticiens du droit des brevets ont ainsi constaté l’émission d’une quantité impressionnante de notifications d’examen « Preliminary Office action (dispatch 6.21) » à délai de réponse non prolongeable mettant en œuvre les mesures énoncées ci-dessus.
En pratique, de nombreux demandeurs étrangers ont ainsi obtenu rapidement et à frais relativement réduits la délivrance de leurs brevets brésiliens en conformant ces derniers à leurs brevets correspondants (européens ou américains notamment).
Si certains praticiens (brésiliens surtout) peuvent regretter que le Brésil ait ainsi fait le choix de déléguer en quelque sorte l’examen des brevets brésiliens auprès d’Offices de brevets étrangers, il n’en demeure pas moins que la mesure semble assez efficace.
En raison de la pandémie actuelle de Covid-19, le Procureur Général de la République a déposé, le 24 février 2021, une requête auprès de la Cour Suprême pour une injonction préliminaire suspendant immédiatement la durée minimale de 10 ans à compte de la délivrance. Pour ainsi hâter une réponse de la Cour Suprême, le Procureur Général de la République a basé sa requête sur l’impact de cette durée minimale sur les produits pharmaceutiques et la fourniture de génériques pour juguler la pandémie de Covid-19.
Faire annuler la durée minimale de 10 ans à compte de la délivrance aurait un impact fort : un peu plus du tiers des brevets brésiliens actuellement en vigueur expireraient instantanément. L’enjeu est de taille encore plus significative pour les domaines de la pharmacie et de la biotechnologie pour lesquels environ les deux tiers (!) des brevets expireraient ou verraient leur durée de protection réduite.
Hier, la Cour Suprême brésilienne a rendu sa décision et dit que la durée la durée minimale d’un brevet de 10 ans à compte de la délivrance est contraire à la Constitution brésilienne.
Les modulations des effets de cette décision devraient être annoncées dans quelques jours, en particulier pour déterminer la couverture rétroactive ou prospective de la décision.
C’est un changement de donne majeur pour les brevetés au Brésil.
On peut toutefois s’interroger sur la motivation avancée par le Procureur Général de la République, à savoir le fait de libérer des produits pharmaceutiques et favoriser la fourniture de génériques pour juguler la pandémie de Covid-19. En effet, les brevets concernés par la durée la durée minimale de 10 ans à compte de la délivrance ont nécessairement été déposés il y a plus de 10 ans : leurs objets peuvent-ils être particulièrement pertinents pour lutter contre le Covid-19 ?
La décision de la Cour Suprême brésilienne pourrait en fait être plus politique que légale après l’annonce le 5 mai 2021 du Président américain Joe BIDEN en faveur de la levée des protections de propriété intellectuelle pour les vaccins contre le Covid-19 (en réponse aux pays d’Inde et d’Afrique du Sud, très sévèrement touchés), lequel a été rejoint par le Président français Emmanuel MACRON le 6 mai 2021 (alors qu’il était précédemment plus favorable à un meilleur partage des vaccins avec les pays défavorisés).
Le problème avec cette décision de la Cour Suprême brésilienne, c’est qu’elle ne fait pas dans le détail, et qu’on comptera des victimes collatérales dans des domaines industriels autres que ceux des produits pharmaceutiques et biotechnologiques : près de 90 % des brevets dans le domaine des télécommunications vont expirer instantanément ou avoir une durée de protection réduite.
Si la devise du Brésil m'est en exergue l'ordre et le progrès ("ordem e progresso"), voilà un beau pavé dans la mare qui ne manquera pas de provoquer de forts remous. Mais bon, peut-être sauvera-t-il au moins l'INPI brésilien de la noyade...